La crise étudiante telle que vue et commentée par les médias

2014 / Journalisme, Publics
Mots-clés: Journalisme

Lors du « Printemps érable », des étudiants et des manifestants se sont plaints que leurs actions et leurs points de vue étaient traités de façon préjudiciable par les médias d’information.

Or, une série d’analyses approfondies menées par le Centre d’études sur les médias tend à limiter la portée de constat. En effet, les grands médias d’information québécois ont offert plus souvent qu’autrement des contenus sans orientation positive ou négative. Et quand ils ont coloré leurs contenus, ils se sont souvent avérés plus critiques envers le gouvernement du Parti libéral qu’envers le mouvement étudiant.

 

PE Auger / [CC BY-SA 2.0]

Journaux quotidiens et émissions de télévision ont été étudiés suivant des méthodes quantitatives et qualitatives, et le portrait est complété par une analyse d’entrevues de groupes permettant de connaître la perception des Montréalais du travail des médias. Dans chacun des quatre quotidiens analysés (La Presse, Le Devoir, Le Journal de Montréal, The Gazette), quelque 80 % des nouvelles couvrent ou interprètent les événements sans que le texte ne dégage une impression d’ensemble positive ou négative que ce soit à l’égard du gouvernement, du mouvement étudiant ou des diverses associations étudiantes. Dans la portion qui contient une orientation, trois des quatre journaux (Le Journal de Montréal, La Presse et Le Devoir) ont davantage rapporté des éléments défavorables envers le gouvernement qu’envers le mouvement étudiant qui lui faisait la lutte. Une particularité au Devoir : les aspects positifs de la croisade étudiante ont eu légèrement le dessus.

Par ailleurs, les chroniques du Journal de Montréal sont surtout opposées aux étudiants. Peut-on blâmer ces chroniqueurs d’avoir exprimé leur opinion? Le journal les paie pour cela. Il n’empêche qu’on aurait pu souhaiter une plus grande diversité. Nous dénombrons en effet 50 chroniques très défavorables aux étudiants comparativement à cinq très défavorables au gouvernement. Un panel d’experts auquel ces chroniques ont été soumises estime que « la logique journalistique est ici respectée : les chroniques, par définition, permettent l’affirmation de points de vue personnels et subjectifs. Il n’y a donc, à cet égard, rien de véritablement surprenant ni d’éthiquement condamnable dans les commentaires, jugements et parfois “coups de gueule” relevés. »

Des cinq émissions de télévision analysées, trois correspondent particulièrement au constat général de grande neutralité, soit le téléjournal de fin de soirée de TVA et celui de Radio-Canada, de même que l’émission d’affaires publiques 24 heures en 60 minutes, de RDI. Environ 80 % de leur contenu ne recelait pas d’orientation négative ou positive à l’égard des parties impliquées. Quant à la portion qui contenait une orientation, les trois émissions étaient plus critiques à l’égard des positions et des actions du gouvernement Les deux autres émissions de télévision analysées se sont démarquées de ce tableau, soit Dumont le midi (de la chaîne V), et TVA nouvelles.com. Dans la portion de temps laissée aux opinions du public à TVA nouvelles.com, soit 45 % du contenu, beaucoup d’opinions tranchées ont été diffusées, en général des commentaires plus critiques à l’endroit des étudiants qu’à l’égard du gouvernement. À Dumont le midi, 35 % du matériel analysé recelait une orientation, et la cause étudiante y a été plus malmenée que le gouvernement. Un panel d’experts a porté une attention toute spéciale aux entrevues des émissions télévisées. Il conclut que la plupart des 40 entrevues analysées étaient d’une grande qualité, et que certaines, pouvant laisser une impression de parti pris, étaient en réalité des entrevues de type « sur la sellette » fort bien menées.

Dans les entrevues de groupes analysées par les chercheurs du CEM, les citoyens se sont dits saturés d’informations concernant la crise étudiante. Les plus âgés ont plus souvent affirmé que les médias étaient en faveur des étudiants, et les plus jeunes ont argué que la couverture « excessive » des manifestations avait nuit à la cause étudiante. On a critiqué un usage abusif des vox populi par les médias, ce qu’un participant a qualifié de « festival de l’opinionisme ». Les participants ont aussi déploré le sensationnalisme de la couverture, et le fait que les enjeux n’aient pas été bien expliqués (« Donnez-nous le portait, prenez le temps… »). Dans un sens, ces commentaires rejoignent bien l’une des conclusions des études du CEM : les manifestations et les moyens de pression sont les aspects les plus abordés, autant dans les quotidiens qu’à la télévision. Et au petit écran, le deuxième thème est le travail policier entourant les manifestations.

Par ailleurs, le Centre d’études sur les médias s’est intéressé, en parallèle à la circulation des informations sur les médias sociaux pendant la grève étudiante. Le projet, sous la responsabilité de la chercheure Nicole Gallant, visait à documenter empiriquement si et comment les jeunes ont utilisé Facebook pour s’informer, discuter et se forger une opinion sur les événements du « Printemps érable ».