Traditionnellement, les revenus des quotidiens proviennent principalement de la publicité et de la diffusion, cette dernière comprenant la vente au numéro ou à l’article et les abonnements. Les quotidiens peuvent également compter sur les dons des entreprises et des particuliers ainsi que, depuis peu, sur les redevances des géants du web. Certaines aides financières gouvernementales leur sont aussi accessibles.
La publicité et la diffusion
Les recettes publicitaires constituent la principale source de revenus des quotidiens québécois. Mais la publicité ne leur rapporte plus autant qu’avant. De 2012 à 2022, leurs revenus publicitaires ont diminué de 67 %, passant de 522 millions de dollars à 171 millions. Or, pendant cette période, l’indice des prix à la consommation (IPC)1 s’est accru de 21,6 %, et le produit intérieur brut de la province (PIB)2 a augmenté de 19,6 %. Avec la multiplication de l’offre d’espace publicitaire en ligne et l’arrivée de géants internationaux aux ressources presque illimitées et aux capacités de ciblage nettement plus précises, les quotidiens doivent composer avec un affaiblissement de la demande en publicité et de la valeur de ces espaces. En 2022, les quotidiens n’ont obtenu que 4 % des sommes investies en publicité au Québec, alors que les supports en ligne non affiliés aux médias traditionnels (moteurs de recherche, réseaux sociaux, affichage numérique, etc.) ont accaparé 73 % des parts de marché. Après un recul des ventes en contexte de pandémie de COVID-19, les rentrées publicitaires des quotidiens ont affiché un certain regain (7 %) entre 2020 et 2022. Cette croissance s’explique par une augmentation des ventes de publicité numérique (33 %), qui ont rapporté environ 100 millions de dollars aux quotidiens en 2022. Les revenus publicitaires issus des éditions imprimées ont quant à eux diminué de 16 %, pour s’établir à 72 millions de dollars. Les ventes de publicité numérique sont maintenant plus lucratives que celles de la publicité papier et représentent 58 % des revenus publicitaires des quotidiens au Québec.
Les recettes provenant de la diffusion sont aussi à la baisse depuis plusieurs années. Au cours de la période 2012-2022, les éditeurs de quotidiens ont enregistré une diminution de 50 % des revenus issus des abonnements ou de la vente d’éditions et d’articles. Toutefois, les rentrées de la diffusion ont elles aussi légèrement monté (2 %) de 2020 à 2022. Elles atteignaient cette année-là, la plus récente pour laquelle nous avons des données, 81 millions de dollars. Cette légère progression provient des revenus tirés des éditions numériques, qui sont passés de 7 millions de dollars en 20183 à 18 millions en 2022. Ces éditions représentent 22 % des revenus de diffusion des quotidiens au Québec en 2022, proportion appelée à augmenter avec la disparition des éditions papier des journaux de la Coopérative nationale de l’information indépendante. L’imprimé, quant à lui, comptait pour 78 % des revenus de diffusion des quotidiens québécois, mais ses ventes se sont affaiblies de 30 % entre 2018 (90 millions de dollars) et 2022 (63 millions de dollars).
1. Revenus des quotidiens au Québec

Source : Statistique Canada, Enquête sur les industries de services : Éditeurs de journaux. Depuis 2010, l’enquête n’est menée que les années paires. Pour les années impaires, nous faisons des projections à partir des données canadiennes publiées par Think TV, Net Advertising Volume, données colligées par Médias d’Info Canada. Les variations constatées dans les données canadiennes de Médias d’Info Canada ont été appliquées aux données de Statistique Canada des années paires.
Au Canada, les quotidiens ont cumulé 565 millions de dollars en revenus publicitaires en 2022, comparativement aux 2,261 milliards en 2012, une chute de 75 % en 10 ans. Affectés, eux aussi, par la forte concurrence au sein du marché publicitaire, ils ont récolté en 2022 à peine 3 % des dépenses des annonceurs, alors que les plateformes en ligne non affiliées aux médias traditionnels en ont amassé 69 %. Par le fait même, les annonceurs sont de moins en moins susceptibles d’acheter de la publicité dans les éditions papier des quotidiens. En 2022, ils ont dépensé 300 millions de dollars dans ce format, une baisse de 16 % par rapport à 2020. Ce sont les annonceurs locaux (53 %) qui ont acheté le plus d’espace publicitaire en format imprimé, suivis des annonceurs nationaux (28 %) et des petites annonces (19 %). Malgré cette décroissance, la publicité imprimée (53 %) constitue une plus importante source de revenus que celle numérique (47 %). Cette tendance devrait se renverser, les ventes de publicité numérique ayant connu une croissance de 27 % entre 2020 et 2022, atteignant 265 millions de dollars.
Tout comme les rentrées publicitaires, celles découlant de la diffusion sont sur une pente descendante. Les quotidiens canadiens ont cumulé 572 millions de dollars pour les ventes d’abonnements, d’éditions ou d’articles en 2022, ce qui représente une diminution de 29 % par rapport à 2012. Bien que les recettes provenant du numérique aient augmenté de 68 % de 2020 à 2022, cette progression est insuffisante pour compenser la baisse des revenus de diffusion de l’imprimé (12 %). Ces derniers comptent pour 78 % des revenus de diffusion des quotidiens au Canada, une part identique à celle du Québec. À noter que depuis 2020, la chute des ventes publicitaires fait en sorte que les revenus issus de la diffusion dépassent ceux engendrés par la publicité.
2. Revenus des quotidiens au Canada

Sources : Publicité : Statistique Canada, Enquête sur les industries de services : Éditeurs de journaux (2022), et ThinkTV, Net Advertising Volume (années précédentes), données colligées par Médias d’Info Canada. Diffusion : Statistique Canada, Enquête sur les industries de services : Éditeurs de journaux.
La situation n’est guère plus reluisante ailleurs dans le monde. Aux États-Unis, le Pew Research Center évalue que les revenus publicitaires des quotidiens américains cotés en bourse étaient de 9,8 milliards de dollars en 2022, ce qui représente une baisse de 61 % par rapport aux 25,3 milliards de dollars en revenus publicitaires obtenus 10 ans plus tôt. 48 % des revenus publicitaires de ces quotidiens proviennent maintenant du numérique. Ce type de recette se maintient au niveau de 2012 alors que celle de l’imprimé s’effondre. À l’instar des données canadiennes, les chiffres du Pew Research Center indiquent que la diffusion est devenue depuis 2020 la principale entrée de fonds des quotidiens (11,6 milliards de dollars en 2022)4.
Les autres sources de revenus
Les éditeurs de presse peuvent également bénéficier d’autres sources de revenus, telles que les dons et les redevances des géants du web ou des sommes en provenance de programmes d’aide des gouvernements provincial et fédéral. À défaut d’avoir des données pour l’ensemble de l’industrie, on constate dans les rapports annuels des quotidiens québécois Le Devoir et La Presse que la part de revenus attribuables aux aides financières est en croissance, passant de 4 % en 2019 à 13 % en 2023 pour Le Devoir et de 20 % en 2022 à 26 % en 2023 pour La Presse.
Diverses initiatives ont été mises en place par les gouvernements québécois et canadien pour soutenir la presse écrite et le journalisme. Au Québec, on retrouve, entre autres, les mesures suivantes :
- Le Programme d’aide à l’adaptation numérique des entreprises de la presse d’information écrite permet de financer, d’une part, la réalisation d’études ou d’établissements de diagnostics préalables à la transition numérique et, d’autre part, l’exécution de projets numériques. Selon le ministère de la Culture et des Communications, 137 projets ont été soutenus de 2017 à 2024, avec des aides annoncées totalisant plus de 26 millions de dollars.
- Le crédit d’impôt remboursable temporaire pour la transformation numérique de la presse écrite peut apporter une aide de 35 % sur les dépenses admissibles de conversion numérique, telles que le développement de systèmes d’information ou l’intégration d’infrastructures technologiques, pour une limite de 7 millions de dollars annuellement. Les frais doivent avoir été engagés après le 27 mars 2018 et avant le 1er janvier 2025.
- Le crédit d’impôt remboursable pour soutien à la presse d’information écrite peut représenter 35 % du salaire versé aux employés produisant du contenu d’information, avec une limite de 26 250 dollars par employé.
Le fédéral offre aussi des mécanismes d’aide destinés aux médias d’information écrits :
- Le crédit d’impôt remboursable pour la main-d’œuvre journalistique canadienne, semblable à celui du Québec, s’applique au salaire versé aux employés produisant du contenu d’information. En 2023, le gouvernement a décidé d’augmenter le taux de ce crédit de 25 % à 35 % du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2026. Après cette période, il retournera à son taux d’origine. De plus, le plafond des dépenses de main-d’œuvre par employé admissible est passé de 55 000 dollars à 85 000 dollars.
- L’Initiative de journalisme local est un programme finançant l’embauche de journalistes pour couvrir l’actualité dans les communautés mal desservies du pays. Le 1er mars 2024, Patrimoine canadien annonce que le programme est prolongé jusqu’en 2027 grâce à un investissement supplémentaire de 58,8 millions de dollars.
- Le crédit d’impôt non remboursable temporaire pour les abonnements aux nouvelles numériques offre une aide de 15 % sur les abonnements numériques payés par les particuliers à une organisation journalistique canadienne qualifiée, jusqu’à concurrence de 500 dollars par année. Les paiements doivent avoir eu lieu après 2019, mais avant 2025.
- Le statut d’organisation journalistique enregistrée permet aux organisations de presse admissibles de remettre des reçus pour les dons qu’elles reçoivent (minimalement 20 dollars). Pour obtenir ce statut, l’organisation doit remplir de multiples conditions, comme se consacrer uniquement à l’information et ne pas générer de revenus pour un propriétaire, un actionnaire ou « une autre personne de ce type ». Huit des douze quotidiens du Québec ont obtenu ce statut : La Presse (en décembre 2020), les six journaux de CN2i (en janvier 2023) et Le Devoir (en octobre 2023).
Les dons sont une autre source de revenus non négligeable pour les quotidiens, et certains donateurs y contribuent chaque année, voire chaque mois. La Presse a récolté 7,8 millions de dollars en dons en 2023 grâce à ses 56 000 donateurs, parmi lesquels environ 31 000 ont donné de façon récurrente. Le Devoir a amassé, pour la même année, 887 575 dollars en dons provenant de particuliers ou d’entreprises.
En raison des difficultés financières des organes de presse et de la domination des géants du web sur le marché de la publicité, le gouvernement fédéral a adopté en juin 2023 la Loi sur les nouvelles en ligne (loi C-18), qui demande aux géants du web remplissant certains critères (Google et Facebook pour l’instant) de rétribuer les médias d’information pour l’utilisation qu’ils font de leurs contenus. Il a été estimé que Google et Meta accaparaient 72 % de l’argent dépensé en publicité numérique au Canada en 20225. En guise de représailles, Meta a décidé en juin 2023 de mettre fin à ses ententes commerciales avec les médias canadiens et de bloquer en août 2023 la plupart des nouvelles diffusées par les médias d’information au Canada sur ses plateformes Facebook et Instagram. Quant à Google, la multinationale versera 100 millions de dollars par année, indexés à l’inflation, aux médias d’information canadiens. D’autres défis portant sur le respect du droit d’auteur attendent les organisations journalistiques. En novembre 2024, une coalition de médias canadiens, comprenant notamment Postmedia Network, propriétaire du Montreal Gazette, a déposé une plainte contre OpenAI. Les médias impliqués accusent l’entreprise en technologie de générer des revenus en utilisant illégalement leurs contenus en ligne pour entraîner son logiciel d’intelligence artificielle générative, ChatGPT. À l’inverse, ces nouvelles technologies sont aussi de plus en plus utilisées par les organes de presse afin d’économiser des coûts, d’accélérer le rythme de travail ou d’utiliser à meilleur escient le temps de travail des journalistes.
Les marges bénéficiaires
En dépit des obstacles, les journaux québécois ont été rentables en 2022. Selon les chiffres de Statistique Canada, qui incluent les quotidiens et « les journaux communautaires généraux et spécialisés6 », la marge bénéficiaire est redevenue positive à 12,1 % en 2020 et le demeure en 2022 avec 9,2 % après une période de pertes : -6,5 % en 2018 et -0,2 % en 2016 (l’enquête est maintenant tenue aux deux ans).
3. Évolution de la marge bénéficiaire d’exploitation des journaux (quotidiens et hebdomadaires) au Québec de 1999 à 2022
Source : Statistique Canada, Enquête sur les industries de services : Éditeurs de journaux. Depuis 2010, l’enquête n’est menée que les années paires.
À l’échelle canadienne, l’industrie des journaux demeure tout juste dans le positif, après une diminution de 8,8 points de pourcentage entre 2012 (11,3 %) et 2022 (2,5 %). À noter que jusque-là, les marges bénéficiaires des journaux canadiens étaient généralement plus élevées que celles des journaux québécois.
4. Évolution de la marge bénéficiaire d’exploitation des journaux (quotidiens et hebdomadaires) au Canada de 1999 à 2022
Source : Statistique Canada, Enquête annuelle sur les industries de services : Éditeurs de journaux. Depuis 2010, l’enquête n’est menée que les années paires.
Mise à jour : février 2025
Notes
[1] Institut de la statistique du Québec, « Indice des prix à la consommation (IPC), indice d’ensemble, Canada, Québec, RMR de Montréal et RMR de Québec, moyennes annuelles », ISQ, consulté en septembre 2024. ↑
[2] Institut de la statistique du Québec, « Produit intérieur brut réel, Québec, 1981-2023 », ISQ, consulté en septembre 2024. ↑
[3] Les données pour l’année 2020 ne sont pas publiées par Statistique Canada pour des motifs de confidentialité. ↑
[4] Données rapportées par le Pew Research Center, « Newspapers Fact Sheet », Pew Research Center, 10 novembre 2023. ↑
[5] Donnée calculée par Roy, Jean-Hugues, professeur de journalisme, UQAM, rapportée par Proulx, Boris, « Google estime qu’Ottawa exagère son poids dans le marché publicitaire », Le Devoir, 30 août 2023. ↑
[6] Ce groupe comprend les hebdomadaires régionaux, d’autres titres régionaux dont les parutions sont plus espacées ainsi que les journaux universitaires, ethniques et religieux. ↑