Presse hebdomadaire

La fin du Publisac de Transcontinental, en 2024, après 46 ans d’histoire, marque une nouvelle ère dans l’histoire de la presse hebdomadaire au Québec. Ce sac de plastique distribué au porte-à-porte chaque semaine contenant circulaires et journaux locaux a été jusqu’à la fin largement utilisé comme moyen de distribution par les acteurs de la presse hebdomadaire locale et régionale. Mais avant d’entamer le portrait de la situation actuelle, effectuons un bref retour en arrière.

Au début des années 2000, TC Transcontinental et Québecor s’affairent dans des marchés différents, partageant même leurs réseaux de distribution : Québecor distribue les produits de Transcontinental là où celle-ci ne possède pas son propre réseau et vice-versa. La terminaison de cette entente, le 1er juillet 2009, marque le commencement des hostilités entre les deux groupes. Chacun se lance sur des territoires desservis par l’adversaire, parfois par le biais de nouveaux hebdos ou en faisant l’acquisition de petits acteurs régionaux. On assiste à une guerre des tarifs publicitaires et, vraisemblablement, à des pertes financières, jusqu’à ce que Québecor jette l’éponge, à la fin de l’année 2013. TC Transcontinental, dominant déjà ce secteur, acquiert, après une féroce bataille, les hebdomadaires régionaux de son concurrent. Une rationalisation s’ensuit : plusieurs titres cessent complètement leurs activités ou font l’objet d’une fusion avec une autre publication, d’autres ne sont plus exploités qu’en ligne ou réduisent leurs parutions à une ou deux fois par mois.

En avril 2017, le groupe TC Transcontinental annonce son intention de se départir de ses publications, tout en conservant ses activités de distribution. Au commencement du processus, le conglomérat détient 62 % des imprimés de l’industrie et ceux-ci représentent 68 % du tirage. De mai 2017 à juin 2018, l’entreprise conclut 14 transactions, au terme desquelles elle vend les 88 titres de cette nature qu’elle possède au Québec, ainsi que les sites web qui leur sont associés1. Dans la plupart des cas, des contrats prévoient toutefois que le vendeur continue d’imprimer et de distribuer par l’entremise de Publisac ces exemplaires. En 2020, les mesures gouvernementales prises en contexte de pandémie de COVID-19 compliquent les tâches de production et de distribution de copies papier, accélérant le passage en ligne de plusieurs publications. La distribution des hebdomadaires est encore davantage ébranlée, en novembre 2023, lorsque TC Transcontinental annonce la fin du Publisac à compter de février 2024 pour le remplacer par Raddar, une circulaire disponible en format papier et numérique, distribuée à travers la province et dans certaines régions de l’Ontario et de la Colombie-Britannique2. L’entreprise souhaite tout de même poursuivre son partenariat avec la presse locale en leur offrant une certaine visibilité sur leur nouvelle circulaire papier (une page gratuite est mise à la disposition des journaux locaux) et sur le site web de celle-ci. Malgré cette initiative, la fin du Publisac est vivement contestée par l’industrie, qui y voit la perte de son principal distributeur. Les solutions appliquées varient d’un hebdomadaire à l’autre : certains ont choisi de poursuivre la production d’une édition papier en confiant la distribution de leurs exemplaires à Postes Canada ou en créant des points de dépôt dans divers commerces de leur(s) région(s), d’autres ont préféré offrir l’intégralité de leur contenu sur le web, accélérant ainsi la tendance du virage 100 % numérique, alors que certains ont dû suspendre leurs activités. Cela étant, certaines entreprises de presse constatent aussi que la distribution par Postes Canada leur offre une plus grande visibilité3. De façon plus large, les hebdomadaires doivent toutefois faire face à plusieurs autres défis, dont la pénurie de main-d’œuvre, l’érosion de leurs revenus publicitaires, la transformation numérique et la perte d’accès à certains réseaux sociaux appartenant à Meta. En effet, depuis août 2023, la société a bloqué les nouvelles émises par les médias d’information au Canada sur Facebook et sur Instagram en guise de représailles contre l’adoption par le gouvernement fédéral de la Loi sur les nouvelles en ligne (loi C-18) qui demande aux géants du web (Google et Facebook pour l’instant) de rétribuer les médias d’information pour l’utilisation qu’ils font de leurs contenus. 

La configuration des propriétaires de ces publications régionales s’est grandement transformée depuis le départ de Québecor et de TC Transcontinental. Le groupe qui est actuellement le plus dominant, Icimédias, contrôle 24 % des titres imprimés et 21 % du tirage. Ses journaux sont implantés dans cinq régions adjacentes : Chaudière-Appalaches, Centre-du-Québec, Mauricie, Estrie et Montérégie. La deuxième position du classement revenait autrefois à Métro Média qui avait la main mise sur 14 % des publications et 16 % des exemplaires mis sur le marché en 2020. Cependant, l’entreprise a déclaré faillite et a annoncé officiellement la cessation de ses activités en août 2023. Avec l’acquisition d’IN Médias en juillet 2023 et la fermeture de Métro Média, Médialo (anciennement Groupe Lexis Media) devient la seconde entreprise en importance du domaine en détenant 16 % des publications et 17 % du tirage imprimé. Ses propriétés sont établies en Abitibi-Témiscamingue, dans Lanaudière, au Bas-Saint-Laurent, en Gaspésie et en Outaouais4. Ces sociétés représentent à elles seules environ 41 % des titres papier de l’industrie et 39 % du tirage. Les quatre firmes qui suivent au classement éditent, prises globalement, 22 % des exemplaires : Gravité Média et D.B.C. Communications sont implantées en Montérégie, les Éditions Nordiques font plutôt affaire dans les régions de la Côte-Nord et de la Capitale-Nationale5 tandis que l’entreprise Trium Médias œuvre au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Il existe encore 21 hebdos indépendants (leurs propriétaires respectifs ne possèdent qu’un seul titre dans la presse hebdomadaire québécoise et ne publient pas de quotidien) qui, ensemble, comptent pour 23 % des exemplaires totaux. Il existe également des médias hyperlocaux qui couvrent, en ligne, la vie de certains quartiers de Montréal et de Québec, de même que quelques villes.

1. Répartition des titres et du tirage des hebdomadaires régionaux du Québec, en format papier, selon la propriété en 2023

Groupe

Titres

Tirage

Nb

%

Nb

%

Icimédias

22

24,7

469 762

21,1

Médialo6

15

16,9

392 801

17,7

Gravité Média

5

5,6

248 613

11,2

D.B.C Communications

5

5,6

121 862

5,5

Éditions Nordiques

4

4,5

53 890

2,4

Trium Médias

4

4,5

64 762

2,9

Groupe JCL

3

3,4

145 505

6,5

Josée Pilotte

2

2,2

66 811

3,0

Les Versants du Mont-Bruno

2

2,2

49 399

2,2

Le journal de Lévis, Coopérative de solidarité (MéliorMédia)

2

2,2

84 568

3,8

Viva Média

2

2,2

120 120

5,4

Les publications du patrimoine (Sylvain Roy)

1

1,1

14 000

0,6

Atlas Newspaper Group Partnership

1

1,1

12 120

0,5

Indépendants

21

23,6

377 950

17,0

TOTAL

89

100

2 222 163

100

Source : Compilation du Centre d’études sur les médias. Pour les titres n’ayant pas publié leur tirage en 2023, nous avons utilisé les données les plus récentes disponibles. Les groupes ne détenant qu’un seul titre sont propriétaires d’autres journaux à l’extérieur du Québec.

Le graphique illustre les parts respectives des indépendants, des groupes régionaux (présents dans une seule région) et des groupes nationaux (faisant affaire dans plusieurs régions ou dont le portefeuille inclut un quotidien). Les groupes nationaux (48 %) conservent toujours plus de titres que les groupes régionaux (28 %). Cependant, ces derniers tendent à égaler les groupes nationaux pour le nombre d’imprimés. En 2023, les nationaux détenaient 42 % du tirage, comparativement à 41 % pour les régionaux. Avant le retrait de Transcontinental, la part des premiers s’élevait à 70 % contre 15 % pour les seconds.

2. Part des indépendants, des groupes régionaux et des groupes nationaux dans la propriété et le tirage des hebdomadaires régionaux du Québec en 2017 et en 2023

Source : Compilation du Centre d’études sur les médias.

Mise à jour : juin 2024

Notes

[1] Le quotidien gratuit Métro de Montréal a également été vendu pendant la période. Le groupe s’était auparavant départi de publications en Saskatchewan et dans les Maritimes. Le nombre d’employés de la filiale Média est passé de 1 600 à la fin de 2016 à environ 350 à la suite de ces diverses transactions. Ceux-ci œuvrent dans les publications spécialisées de la compagnie, plus spécifiquement dans les secteurs de la finance (dont le journal Les Affaires) et de la construction, ainsi que dans l’édition de livres.

[2] L’impact environnemental du Publisac avait suscité plusieurs critiques menant certaines villes, dont Mirabel, Montréal et Rouyn-Noranda, à instaurer un système d’adhésion volontaire afin de limiter la distribution d’imprimés publicitaires. TC Transcontinental avait même poursuivi, en 2019, la ville de Mirabel, la première a avoir adopté ce type de règlementation. La Cour supérieure du Québec a finalement donné raison à la municipalité en 2022.

[3] Information rapportée par Allard, Ghislain, « Le journal Actualités – L’Étincelle sera distribuée par Postes Canada », Actualités – L’Étincelle, 29 février 2024.

[4] Le 7 février 2024, Médialo suspend la publication de ses quatre journaux papier en Outaouais pour une durée indéterminée. Ces titres ainsi que leur tirage respectif ont été inclus dans notre tableau.

[5] Le journal Le Charlevoisien est devenu entièrement numérique le 1er mai 2024. Sa dernière édition imprimée est parue le 24 avril 2024.

[6] Le nombre total de titres détenus par Médialo comprend les quatre hebdomadaires suspendus en février 2024. Leur tirage respectif a également été comptabilisé.